Le logement a un impact énorme sur notre empreinte écologique : de la fabrication des matériaux qui le composent, leur transport, à l’usage de notre logement (consommation d’eau et d’énergie) ... Il représente à lui seul 22% des émissions des gaz à effet de serre en France et 40 à 45% de la consommation d’énergie ! Il est donc crucial de pouvoir penser différemment le logement si l’on veut améliorer notre empreinte carbone.
Cette question du logement me passionne depuis longtemps. J’ai découvert au fil de mes expériences personnelles et professionnelles des techniques pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments. Et au détour d’un MOOC proposé par Karibati, j’ai fait plus ample connaissance avec les matériaux biosourcés.
Ces matériaux naturels, Isabelle les connaît bien. Elle est très investie dans la transition bas carbone des bâtiments et exerce aujourd’hui en tant que conseil dans le cabinet qu’elle a créé : TERRAVENIA.
J’ai eu le plaisir de la rencontrer pour qu’elle puisse nous éclairer sur l’énorme potentiel de ces matériaux biosourcés dans la construction et la rénovation.
Isabelle : Diplômée d’un doctorat en matériaux suite à une formation d’ingénieur, j’ai dirigé pendant de nombreuses années des études de recherche sur les impacts environnementaux des avions. J’ai contribué entre autres à un projet de déconstruction des avions, qui a donné lieu à la création d’une entreprise à Tarbes qui déconstruit les Airbus en fin de vie et récupère l’aluminium pour d’autres applications. Les dernières années, j'ai monté une activité sur les carburants alternatifs pour remplacer le kérozène. Regarder la possibilité d’utiliser les microalgues comme carburant aéronautique a été très passionnant. C’est tout-à-fait possible mais trop cher par rapport au carburant fossile.
Cette idée vient de la conciliation de mes compétences professionnelles en matériaux, énergie et environnement avec mes centres d’intérêts personnels. Je m’intéresse depuis plus de 20 ans à l’habitat naturel et économe en énergie, ainsi qu’au jardinage sans produits phytosanitaires et en recyclant le plus possible les déchets, ce qu’on appelle aujourd’hui la permaculture. J’ai mis en application à titre personnel de nombreux types de rénovation et ainsi pu apprécier la qualité et la durabilité des matériaux biosourcés. C’est cette envie de partager et de promouvoir des solutions durables et compatibles avec les enjeux, qui sont les nôtres, que j’ai eu envie de créer TERRAVENIA.
TERRAVENIA est une structure d’ingénierie-conseil sur la transition climatique du bâtiment et la compensation carbone locale (ou plutôt contribution à la neutralité carbone, impliquant de réduire d’abord avant de compenser). Je propose des conseils et/ou un accompagnement avec 3 approches possibles : 1/ sur l’isolation thermique des bâtiments énergivores avec des matériaux contenant des fibres végétales, comme la laine de bois, de chanvre ou de lin. 2/ sur l’aménagement d’espaces végétalisés, voire comestibles au sol et sur les toitures-terrasses. 3/ sur la réduction puis la neutralisation des émissions incompressibles de Gaz à Effet de Serre (GES) par le financement sur le territoire de projets de végétalisation et de rénovation énergétique contribuant à séquestrer le carbone du CO2 atmosphérique, dit biogénique, grâce à la photosynthèse. Mon objectif est de promouvoir le stockage (ou bioséquestration) du carbone issu de l’air dans les sols, les plantes, les arbres et les matériaux.
Mon objectif est de promouvoir le stockage (ou bioséquestration) du carbone issu de l’air dans les sols, les plantes, les arbres et les matériaux.
J’aide des entreprises, des propriétaires fonciers urbains et usagers de bâtiments énergivores à réduire leurs factures d’énergie fossile tout en contribuant à réduire leur empreinte carbone par le stockage du carbone issu du gaz carbonique atmosphérique dans du végétal. J’incite aussi des architectes et des artisans à utiliser du végétal dans leurs projets et leurs travaux. Je propose des conférences et des formations courtes pour expliquer l’intérêt du végétal dans le bâtiment.
Depuis 1850 la température a augmenté de 1 °C en moyenne sur notre planète, de 1,5°C en France (Météo France 02/03/20). Nous devons nous engager dans une démarche vers le zéro émission nette (neutralité carbone) pour la pérennité, la résilience des organisations et de la planète et donc réduire drastiquement les émissions de GES et compenser les émissions résiduelles par l’élimination et/ou la séquestration d’une quantité équivalente dans des puits de carbone (forêts, sols cultivés, prairies, etc.). Le secteur du bâtiment représente 22 % de l’empreinte environnementale et consomme 44 % de l’énergie en France en 2018 (rapport Secten du CETIPA – 05/2019). Ce secteur est le plus gros consommateur d’énergie en France et émet 20 fois plus de GES que l’aéronautique ! Aujourd’hui, notre empreinte carbone moyenne en tant que français est de 10,8 tCO2e/an, dont 2,9 pour le logement, selon l’ADEME, soit 27 %. Et l’objectif est de 2 tCO2e/an en 2050 dans l’Accord de Paris (1 tCO2e correspond au captage de CO2 par 1 m3 de bois). Si on fait un calcul au prorata, c’est seulement 0,2 tCO2e/an à atteindre pour le logement, soit -93 % ! Autre point important, la fabrication de béton représente 7 % des émissions de GES mondiales sans compter le transport (Agence Internationale de l’Energie). Les matériaux naturels comme le bois sont bien moins impactants sur l’environnement et en plus ils stockent du carbone biogénique, contrairement au béton, au ciment...
Les matériaux naturels comme le bois sont bien moins impactants sur l’environnement et en plus ils stockent du carbone biogénique, contrairement au béton, au ciment...
La définition pour le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire est la suivante : “les matériaux biosourcés sont issus de la matière organique renouvelable (biomasse), d’origine végétale ou animale. Ils peuvent être utilisés comme matière première dans des produits de construction et de décoration, de mobilier fixe et comme matériau de construction dans un bâtiment.” Dans le bâtiment, les matériaux biosourcés les plus utilisés sont le bois, la paille, le chanvre, la ouate de cellulose, le liège, le lin et la laine de mouton. Ils représentent 10% du marché de l’isolation actuellement en France. Le label “Produit biosourcé” a été créé en 2015 pour améliorer la visibilité de ces matériaux avec un affichage du pourcentage de matières premières biosourcés réellement contenues dans le produit fini. Le gros avantage écologique de ces matériaux, c'est qu'ils diminuent l'empreinte carbone du bâtiment, notamment l’énergie grise (énergie consommée lors de la fabrication et la transformation avant la mise en œuvre). Ils sont renouvelables et créent des emplois localement (cultivateurs et sylviculteurs). Enfin, ils permettent également de stocker du carbone biogénique (et constituent donc un puit de carbone), dont l’impact positif n’est pas suffisamment pris en compte aujourd’hui.
ils diminuent l'empreinte carbone du bâtiment, sont renouvelables, créent des emplois localement, et permettent de stocker du carbone biogénique.
Ces matériaux présentent souvent un bien meilleur comportement hygrothermique que les matériaux synthétiques ou minéraux comme la laine de verre, ce qui améliore sensiblement le ressenti de bien-être. Les performances en conductibilité thermique (lambda) se dégradent au-delà de 27°C et d’un certain taux d’humidité dans les matériaux synthétiques et minéraux, alors que par exemple, le bois est nettement moins sensible à ces variations. Une autre propriété physique importante est la meilleure capacité thermique massique de la plupart des matériaux naturels, permettant un meilleur déphasage thermique, très pertinent en période de canicule. Une partie de notre toiture est isolée avec de la laine de chanvre et des panneaux de fibres de bois depuis 2012, sachant que nous dormons dans les combles. Nous avons vu nettement la différence par rapport à la laine de verre que nous avions avant, que ce soit l’hiver ou l’été. Autre exemple, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la paille a une excellente tenue au feu et dispose d’une excellente longévité. J’en veux pour preuve la Maison Feuillette située à Montargis dans le Loiret : ce bâtiment construit en ossature bois et en isolation paille vient de fêter ses 100 ans ! Enfin, je tiens à souligner que ces matériaux présentent un gros avantage pour la santé des artisans qui les installent puisqu’ils représentent moins de risques sanitaires que d’autres équivalents conventionnels. Cela impacte également de manière positive la qualité de l’air intérieur des logements.
Cela dépend. Par exemple, le liège est assez cher et cela ne va pas baisser avec les forêts de chêne-liège qui ont brûlé au Portugal, principal pays producteur. La paille est peu chère mais il y a plus de main-d’œuvre. La ouate de cellulose est bon marché et est d’ailleurs souvent proposée pour isoler le plancher des combles. Le coton recyclé comme le Métisse est un peu plus cher qu’une laine minérale mais vous contribuez à donner du travail à des personnes en réinsertion en France.
En fait, cela dépend de la classe DPE (Diagnostic de Performance Energétique), de l’âge du bâtiment et de son état de santé : on peut agir sur le choix des matériaux, de l’énergie et mettre en place des tas de solutions pour réduire la consommation de l’énergie, en gérant au mieux les apports solaires … Surtout, si vous faites une extension en surélevant votre bâti, évitez si possible les fenêtres de toit et privilégiez les lucarnes ou chiens assis à cause des canicules. Il vaut mieux faire une rénovation globale (et il y a des aides pour cela) plutôt que des travaux ponctuels. C’est un investissement sur le long terme. Cependant, il faut tout de même vérifier que c’est pertinent. Par exemple, isoler par l’extérieur alors que le bâti est déjà classé en C n’est pas forcément « rentable ». Il faut aussi accepter de porter un pull l’hiver à l’intérieur. Exiger 23°C comme consigne en plein hiver n’est vraiment pas raisonnable. En termes de rénovation, je m'aperçois qu’il y a un vrai fossé entre la vision pragmatique et technique des ingénieurs et celle plutôt esthétique proposée par les architectes. Nous nous devons de concilier ces aspects, prendre en compte en premier lieu le besoin, en considérant l’aspect thermique des bâtiments pour promouvoir une approche en conception bioclimatique, qui favorise le low tech (ventilation naturelle par exemple, gestion des apports solaires, orientation...)
Ma position : “il vaut mieux s'isoler avec du bois plutôt que de le brûler pour se chauffer”
Ma conviction : “il est primordial de nous reconnecter avec la terre, de redonner vie à nos sols pour notre bien-être, notre santé et celle de la planète.”
Un petit mot pour finir ?
Il y a un gros effort à faire sur la formation des acteurs du bâtiment, notamment les architectes et les artisans. Un très bon isolant peut avoir ses performances isolantes divisées par 3 si la pose est mal faite (elle doit être étanche à l’air). Les architectes sont généralement peu formés par les écoles sur les performances thermiques des matériaux et souvent le dialogue avec les bureaux d’étude thermiques est compliqué. De plus, les acteurs en rénovation sont encore peu nombreux à être sensibilisés sur l’intérêt du stockage du carbone biogénique avec du végétal. Ils le sont un peu plus dans la construction avec l’arrivée de la RE2020 (Réglementation Environnementale). Il y a néanmoins une réelle prise de conscience de changer la façon de construire depuis 1 an ½ (cf. le succès du mouvement sur la frugalité heureuse et créative, fondé par 2 architectes et 1 ingénieur réputés). Autre message : il y a encore une forte réticence de certains architectes attachés à une collectivité ou à la préservation des bâtiments anciens ou du patrimoine pour par exemple isoler par l’extérieur (cas dans le périmètre du château de Versailles). Il y a aussi des rénovations à Paris de bâtiments publics, de bailleurs sociaux, qui demandent parfois plusieurs années d’instruction pour valider un permis de construire…Il y a encore une incohérence entre la pression gouvernementale pour la rénovation énergétique des bâtiments et la lourdeur administrative, la complexité des outils de financement, mais des efforts sont en cours pour y remédier avec notamment MaPrimeRénov et le plan France Relance.
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